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  • Photo du rédacteurCéline Seidler-Bahougne

Frédéric Ballester, Szczesny : "Luxe, calme et volupté… ou la joie de vivre"


Luxe, calme et volupté, est le titre que donne Matisse à l'une de ses premières toiles fauves. Elaborée à Saint-Tropez lors d'un séjour chez Signac, l'été 1904, elle s'inscrit chronologiquement dans le journal du mouvement comme l'œuvre la plus novatrice.

À l'épreuve de la lumière, par une vue saturée de couleurs vives où l'orangé domine, l'introduction du nu dans le paysage, femmes aux postures naturelles, est offerte à la composition comme un instantané lié au pictorialisme,cadrage issu de la chambre noire. La scène, sur son premier plan, laisse apparaître un groupe de baigneuses au bord de l'eau, leurs attitudes marquées par des gris bleu colorés s'opposent avec simplicité à une gamme de rouges qui anime le rivage. Ce fragment de temps, regard discret sur une Méditerranée mystérieuse et voluptueuse, pérennise la vision du peintre portée sur un passé lointain. Vision soumise aussi à la modernité, et à la joie de vivre qui emplit le cœur des hommes, dans ce début de siècle. Luxe, calme et volupté, nous abandonne au silence d'un instant propice, pour nous livrer à la délectation de la clarté salvatrice de l'image, puisée dans la nuit des temps et confiée par un ciel venu de l'antique. Aux limites d'une civilisation nouvelle, d'un monde qui s'éprend d'exotisme, l'espace du tableau focalise les sentiments qui exaltent le mythe méditerranéen. L'approche de ce moment éperdu nous révèle alors l'émancipation progressive de la peinture.

Picasso, dès 1907, remanie l'idée avancée par Matisse et propose dans Les Demoiselles d'Avignon un nouveau langage, le cubisme. Concept qui défie les lois de la représentation de la nature, jusqu'ici consensuelles et respectueuses d'une tradition picturale, issue de la renaissance.

L'interrogation, la remise en question, face à la formulation du fauvisme, et l'affinité ressentie vis à vis des mœurs chaleureuses du sud, justifient chez les hommes la quête d'impressions nouvelles. Ils sont alors conviés à partager la transparence des horizons illimités, que bordent les paysages de l'azur. Certains peintres s'y risquent le temps d'un passage, et d'un moment de séduction, pour saisir un éclat de vie inattendu dans lequel ils peuvent parfois se perdre. D'autres, tel Szczesny, plus épicuriens, rattachés au mystère et à la sensualité régnante des sites, s'initient au plus profond de leurs méandres, et se rapprocheront du secret, celui du sentiment originel qu'ils associent parfois à leur propre culture. Cette rencontre essentielle libère les voix spatiales de l'imaginaire, et permet à la création de s'acheminer vers des périodes opportunes au développement de l'individualisme. Une des caractéristiques sociologiques déterminantes, soumise à la situation artistique de la fin du deuxième millénaire. Car cette attitude historique est démonstrative : elle propose la lecture d'une démultiplication d'univers imaginaires, mouvements divers, uniques, parfois stratégiques, auxquels s'identifie l'histoire d'un monde libre, en perpétuel devenir.


Luxe, calme et volupté, mots tirés par Matisse du poème L'invitation au voyage de Charles Baudelaire, rejaillit en nous par la vaste composition Negresco. Szczesny l'a peinte pour susciter la passion, l'œuvre est offerte au regard en toute simplicité. À nous d'y découvrir par une fenêtre imaginaire une vue large, d'un paradis terrestre. Un corps nu galvanisé, dans un paysage luxuriant et silencieux, éveille notre désir enfoui d'un plaisir qui s'envisage entre chaque éclat voluptueux des espaces occupés. Luxe, calme et volupté, nous conduit aussi au bonheur. Tel pourrait se révéler le sentiment qui accompagne la visite des œuvres choisies.

Le tableau La joie de vivre, dévoile la pureté de l'ardeur, souligne la quiétude du corps offert, clin d'œil orientaliste discret et moderniste. La joie de vivre s'épanouit sur la toile brute par des couleurs vives et diluées. La simplification de l'espace semble effective.

L'attachement effréné de Szczesny à la lumière d'un territoire du sud qu'il vit au quotidien, dispense sa création d'une mélancolie que l'on pourrait éprouver face au travail des peintres allemands de sa génération. Car ne l'oublions pas, le peintre est germanique.

Son jeu expressif et minimaliste s'entrecroise à la richesse de sa mixité culturelle, esprit qu'il mêle ouvertement avec les choses du quotidien : le plaisir des yeux, de la table, de l'amour et du sexe, de la joie partagée avec ses enfants et la femme aimée qui l'aide à s'accomplir.

Dans une démarche expressive, Szczesny élabore par séries un parcours qui s'inscrit d'une toile à l'autre, par un jeu expressif entre la forme et la couleur. Moments projetés entre diverses strates de sentiments.

Emblématique et libre, le corps de la femme règne dans la joie, face à la lumière du jour qui découpe le jeu d'une grille sauvage. La fleur tournesol éblouit de ses vertus contrastées la coupe blanche et transparente, offrant des fruits à déguster dans le péché.

Dans le silence éclatant, se savourent les sensations et les parfums de cet éden improvisé. Les yeux se refermeront dans une nuit profonde, d'un bleu étincelant puisé des glaçures de L'Empire du Soleil Levant.

Frédéric Ballester


Szczesny : "Luxe, calme et volupté… ou la joie de vivre", une exposition réalisée par Frédéric Ballester à la Malmaison (Cannes), du 20 Octobre 2001 au 27 Janvier 2002.

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